lundi 2 avril 2007

Mémoire courte

Il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion de voir La vie est belle, le film de Roberto Benigni sorti il y a quelques années déjà. Je connaissais vaguement le sujet et c’est peu dire que je n’étais pas emballé à l’idée de passer une soirée à me remémorer les horreurs de la seconde guerre mondiale. De plus le principe d’une comédie, fut elle dramatique, sur un tel sujet me semblait curieux, pour ne pas dire de mauvais goût.
Et pourtant…j’ai été ému par la façon détournée adoptée par Benigni pour revenir sur cette tragédie, touché par ce père qui tente de faire passer la déportation pour un jeu auprès de son fils afin que surtout il ne prenne pas conscience de ce qui se trame autour de lui.

En sortant, je n’ai pu m’empêcher de repenser à une autre oeuvre qui aborde cette période: Le Pianiste de Polanski. Ce film m’a marqué, je crois pouvoir dire à vie. Je m’en souviens presque comme si c’était hier. Une amie m’avait proposé d’aller le voir, en sortant de cours, un soir d’hiver. Le jour venu, harassé par ma journée, j’aurais aimé renoncer, ayant plutôt envie d’une pause insouciante avant de me remettre à mes exercices de maths ou d’économie jusque tard dans la nuit ; mais voilà j’avais dit oui. Oui à ce qui allait être le film le plus insoutenable et le plus marquant que j’ai pu voir; 3 heures de déferlement d’horreur et de violence à l’écran, de souffrance, de dégoût et de honte pour moi, sur mon fauteuil. Alors, imaginer ce que cela devait être dans la réalité…Ce soir là, j’ai senti plusieurs fois les larmes mouiller mes yeux. Le générique terminé, j’ai eu du mal à reprendre mes esprits, du mal à rentrer chez moi, à me remettre au travail, comme si de rien n’était. J’étais hagard, sous le choc, incapable d’articuler la moindre parole. Et, paradoxalement, je ressentais une certaine joie de pouvoir savourer la vie insouciante qui était la mienne, une chance inouïe d’y avoir droit, limite honteuse quand je repensais à mes motifs habituels de contrariétés.
Bien sur je ne découvrais pas à travers ce film cette noire période mais la force des images conjuguée à l’absurdité et à la cruauté sans limites des hommes et de la réalité m’avaient touché dans ma chair et ma conscience, plus sans doute que n’importe quelle leçon d’histoire.
Pourtant, je sais que je ne reverrai jamais Le Pianiste ; une fois m’a suffit. Les images de certaines scènes me hantent encore et sont autant de piqûres de rappel de ce qui c’est passé, pour ne pas oublier et en tirer les leçons pour le présent, pour l’avenir.



Mais pourquoi reparler de ces films aujourd’hui ?

Parce que je ne peux m’empêcher d’y repenser quand je vois la situation actuelle, celle d’un homme qui n’a même plus besoin de faire campagne et se contente d’observer, en retrait, et d’attendre son heure, ayant réussi à tromper son monde sur sa nature profonde et faire oublier ses propos. Et voir ce quelqu’un qui a pu qualifier de « détail de l’histoire » les camps de concentration apparaître aujourd’hui comme un personnage presque respectable, presque comme un autre, j’en ai honte pour moi, mon pays, quand je repense à tout ceux qui ont vécu cette horreur, et qui pour la plupart n’en sont pas revenus.
Alors imaginer que des millions de personnes s’apprêtent à voter pour cet homme là, comme si d’ailleurs le choc du 21 avril était oublié, juste pour ce « détail », et quels que soient les raisons de leurs choix – que d’ailleurs je risque de ne pas partager mais c’est un autre débat – je ne peux pas comprendre.
Aussi, j’ai l’impression que beaucoup de nos compatriotes auraient justement bien besoin d’une piqûre de rappel ; pas de discours, juste des images, un témoignage de ce qui s’est passé et que beaucoup ont, sinon oublié, du moins enfoui au fond de leur mémoire, par delà leur conscience.

Lors de la course aux 500 signatures, on a parfois dit que la non présence de Jean Marie Le Pen à l’élection pourrait fausser le jeu de la démocratie et je dois dire que j’étais assez partagé sur cet argument. Mais voilà, ne serait ce que pour « ce détail », je ne crois pas qu’un tel parti fasse honneur à notre démocratie et mérite d’y avoir une place. Par devoir de mémoire.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Un billet magnifique que celui que tu nous écrit bien tard dans la nuit. J'ai moi même vu ces films dont tu parles. A peu près à la même époque j'ai aussi lu "Si c'est un Homme" de Primo Levi et j'avais vu le documentaire "Nuit et Brouillard". J'avais vraiment un haut le coeur général à force de voir et d'entendre toutes ces informations concernant une histoire bien plus réelle que ce que l'on peut supporter. Ton billet a une dimension qui me parle vraiment, j'ai aussi été marqué par ces deux films. A la différence que j'ai revu avec plaisir le Pianiste car ce film m'avait vraiment ému et je voulais revivre cette émotion un peu differente. Par ailleurs, la Vie est Belle je ne l'ai pas revu et je ne sais pas si je serai pret à revivre l'horreur de ces images, bien que présenté avec une magie particuliere, l'amour d'un pere sublimant l'horreur de l'époque. Je n'ai pas de honte à le dire: je pleure devant ce genre de film. Parce que les images suffisent pour nous rappeller que l'Homme est capable d'ignominies et le démontre encore...

Anonyme a dit…

Merci. Je retiens le livre de Primo Levi pour le jour où je me sentirais de lire un récit sur cette période. Quant à revoir les 2 films, j'aurais plutôt la tendance inverse de la tienne; je reverrais plus facilement la Vie est Belle, où l'horreur est en effet sublimée par la relation de ce père à son fils, que le Pianiste où elle est terriblement crûe (notamment à travers cette scène du handicapé que les SS jettent par dessus un balcon et qui me hante régulièrement). En fait je crois que je ne tiendrais plus jusqu'au bout cette fois, où alors retenu par quelqu'un de persuasif, capable de réconfort en réponse à la souffrance qu'inflige la caméra.