jeudi 2 août 2007

Que dire ?

J’étais parti pour avoir une journée tranquille quand, au détour d’un cou de fil à priori anodin, elle a pris un autre tournant, beaucoup moins léger et insouciant.
Au milieu d’une conversation on ne peut plus banale, mon interlocutrice m’annonce qu’elle a une révélation importante à me faire au sujet d’une connaissance certes lointaine – particulièrement ces dernières années – mais néanmoins estimée et appréciée. Au ton de la voix je devine qu’il s’agit de quelque chose de grave. D’ailleurs à peine a-t-elle ajouté 2 ou 3 éléments que je pressens de quoi il s’agit, ce qui se confirmera quelques phrases certes elliptiques mais lourdes de sens plus tard. Bizarrement, j’ai une certaine intuition quand il s’agit de deviner des choses graves; une sorte de sixième sens qui me fait souvent trouver la réponse à des questions que je me pose en secret ou deviner des faits dont je ne suis pas dans l‘absolu au courant.
Aussi, une fois le téléphone raccroché, j’ai du mal à passer à autre chose. Je suis sous le choc, abasourdi, et, pour être honnête, refusant quelque part d’y croire. Pourtant les faits dont il est question sont glauques. Je n’aime pas la pratique qui consiste à catégoriser les horreurs (on en vient ensuite parfois à comparer et opposer les horreurs les unes aux autres, comportement absurde s’il en est) mais on est dans une affaire où à l’horreur des actes s’ajoute un contexte qui rajoute au sordide et au tragique. Et si c’est malheureusement loin d’être la première histoire du genre dont j’entends parler, le fait de connaître les protagonistes plus ou moins directement concernés par les faits et/ou leurs conséquences change considérablement la donne ; l’empathie est encore plus forte tout comme l’incompréhension.
Bien sûr je pense aux victimes et je me dis qu’il paraît normal d’écouter et de croire à leur parole, même au bénéfice du doute, juste parce qu’on ne peut prendre le risque de leur infliger une souffrance supplémentaire. Pourtant le procès d’Outreau a montré les limites de l’exercice. De même qu’il faut respecter la présomption d’innocence. Et là, j’ai d’autant plus de mal à ne pas l’invoquer. Certes, je ne connais rien de l’histoire mis à part les quelques bribes qui m’ont été rapportées mais, connaissant la personne, je ne peux imaginer de telles choses et quelque part, même si j’avais la certitude que c’était avéré, j’aurais probablement du mal à l’accepter.
Pourtant, j’apprendrai dans la soirée que nous n’en sommes plus à l’instruction donc au temps des questions; un procès a eu lieu, un verdict a été rendu, reconnaissant une certaine culpabilité et en même temps infligeant une peine qui renforce mon trouble. Trouble renforcé par d’autres éléments.

Loin de moi l’idée de vouloir me faire mon opinion et mon verdict ; je crois à la Justice et je suis convaincu que le rôle de l’instruction comme de la cour doit être tout sauf facile. En fait je me contente juste de livrer ici mon ressenti face à cette situation qui me met mal à l’aise et me touche, profondément. Dans un cas comme dans l’autre, véracité des accusations ou erreur judiciaire, la situation est horrible. La vie de ces personnes est probablement brisée, pour longtemps, pour ne pas dire à jamais. Et dans tout ça, il y a des victimes, d’une façon ou d’une autre, des gens adorables qui ont toujours été d’une bonté et d’une générosité immense avec autrui, avec moi. Et j’imagine leur détresse, ce qu’ils doivent endurer, à l’instant, hier, demain, seuls, face à leurs proches, leurs connaissances, leurs environnements plus ou moins proches. Et puis il y a le « coupable », ou supposé tel, mais que décidemment je ne peux imaginer dans ce rôle. Ce soir je pense à eux et, égoistement, je prie pour ne jamais vivre une telle épreuve.


Je ne sais pas pourquoi j’écris ce billet. Encore une fois je ne sais pas grand-chose ou presque du dossier et surtout je ne veux pas en savoir davantage, même sur la forme. Quelque part j’en voudrais presque à celle qui m’a mis au courant. Et en même temps, je n’aime pas qu’on me cache des choses par des mensonges qui tôt ou tard seront éventrés. Sans compter qu’en me révélant ces faits, cette personne se rassurait sur l’ombre de doute et d’inquiétude qu’elle eût pu avoir (même si elle a elle aussi du mal à croire à cette histoire).

Quelque part, je couche ici des pensées que j’aurais vraisemblablement envie d’adresser à ces personnes auxquelles je disais penser plus tôt. Et pourtant je ne le ferai pas, encore moins dans une affaire aussi complexe que celle-ci où, en dépit d’un jugement, il y a toujours un doute. Sans compter que je ne suis pas forcément censé être au courant.

Il y a des situations personnelles et émotionnellement fortes où je suis incapable d’exprimer mon soutien, mes pensées, mon état d’esprit. Un drame, une tragédie, un moment très difficile; je compatis, je suis moi aussi touché par la douleur de l’autre mais je ne sais pas comment réagir, en parler, je ne sais pas quoi dire, même par l’écriture. Pourtant j’aurais envie de pouvoir aider, réconforter ou juste témoigner de mon affection. Mais la situation me fige; peur d’être trop impudique, d’enfreindre l’intimité de l’autre, de ne pas respecter son chagrin. Que dire, que faire ? Je ne sais jamais, je redoute toujours ces instants là. Le silence ? Ce n’est pas forcément mieux ; la peur de passer pour indifférent, froid, insensible. Et peu importe d’une certaine façon que les personnes me soient proches ou pas.
Non, je ne suis vraiment pas à l’aise avec l’exercice de la compassion, c’est tout. Mais pas indifférent.

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